Tu es capable...

Tu es capable de tuer, même un être que tu aimes, on décide parfois de tuer ce qu’on aime. Ça s’est infiltré peu à peu dans ton cerveau, il hurlait, ton chat, il ne cessait pas de hurler, et tu n’as plus voulu l’entendre. Tu n’en pouvais plus, comme cette mère qui n’en pouvait plus d’entendre pleurer son enfant. Il a suffi d’appuyer un oreiller sur la petite bouche, et puis plus rien. L’enfant qui se tait. Toi, tu as composé un numéro de téléphone, tu es tombée sur une voix de femme et tu lui as répondu Oui. Pourtant, il ne te viendrait pas à l’esprit d’écrire Je suis coupable. Tu coïnciderais alors avec ton remords.

 

Hurlements des nourrissons affamés, hurlements des femmes pendant l’accouchement, hurlements des prisonniers qu’on torture, hurlements silencieux des épouses lapidées, des fillettes et des garçonnets qu’on viole, hurlements des violeurs, des meurtriers, derniers hurlements des assassinés que personne n’entend, hurlements des déportés, des bombardés, des agneaux qu’on égorge, hurlements des esclaves au fond des cales, des sorcières sur le bûcher, des guerriers, des mourants au bout de leur souffrance, hurlements d’appels, de révolte, de désespoir, hurlements de ton chat. Hurlements auxquels tu n’as jamais répondu.

 

Tu entends les hurlements retenus dans les entrailles de la terre chaque fois que tu poses les pieds sur le sol, tu les entendrais même si tu en venais à tuer tous les vivants. Tu demandes chaque fois qu’on te délivre du mal, mais qui pourrait te tendre la main, quelle parole te sauverait de la détresse? Tu appartiens à une lignée si longue qu’elle ne se rappelle plus sur quel continent elle est née, poissons, oiseaux, carnassiers, mammifères qui se sont peu à peu redressés pour apprendre à marcher, peuple de chasseurs, de pilleurs et de criminels. Tu as sur les mains l’odeur millénaire du feu et du sang.

Se blottir au fond des hurlements

1. a) De quoi êtes-vous capable de bon ?

    b) De quoi êtes-vous capable de mal ?

 

2. Quelle(s) émotion(s) ressentez-vous à la lecture de la longue énumération proposée par Louise Dupré dans la seconde strophe de ce poème ?

 

3. Relisez l’extrait suivant : « Tu appartiens à une lignée si longue qu’elle ne se rappelle plus sur quel continent elle est née (…) »

  • Comment interprétez-vous cet extrait ?
  • Êtes-vous d’accord avec cet extrait ? Pourquoi ?

4. Que signifie, pour vous, le titre de ce poème ?

 

5. Ce poème est très dense et très sombre. Comment pouvez-vous moduler votre voix et bouger pour faire ressortir tous les éléments contenus dans ce texte ?

  • À quels moments insérez-vous un silence ?
  • À quel moment accélérez-vous ?
  • À quel moment ralentissez-vous ?

*Je vous suggère d’annoter le texte au regard de ces questions.

 

 

Activité d’écriture : Énumérer comme Louise Dupré

Je vous propose d’explorer le procédé de l’énumération tel que présenté dans la deuxième strophe de « Tu es capable ».

  1. Prenez un mot similaire à « Hurlements » qui peut s’appliquer à plusieurs contextes de la vie. Ce mot pourrait être « rires », « paroles », « plaintes », « grimaces », etc.
  2. Pensez à plusieurs exemples d’événements qui impliquent ce mot.
  3. Rédigez une courte strophe qui répète le mot choisi jumelé à vos nombreux exemples. Vous pouvez insérer on non une gradation dans votre énumération.
  4. Partagez votre texte avec quelqu’un qui, comme vous, s’est adonné à l’exercice. Discutez des points communs et discordants de vos créations.

 

Liens utiles

 

  • Louise Dupré en entrevue lors du Marché de la Poésie de Paris en 2018 : 

Section « Pour aller plus loin » rédigée par
Référence bibliographique

Louise Dupré, « Tu es capable... », La main hantée, Le Noroît, 2017, p. 33-35.

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